mercredi 10 octobre 2012

Les Raves se racontent au Présent 1.7

La Foire aux Monstres

« On avait retrouvé l'autre sentier, non sans mal. Les jeunes châtaigner ont beau pousser bien rangés autour de leurs parents, c'est pas évident de se faufiler en voiture entre les bosquets d'arbres. Par endroits, mon mec a carrément dû contourner des familles entières avant de retrouver la direction présumée des carrières où Fred prétendait trouver le Tek-Noz.

A un moment, j'ai voulu fermer ma vitre, à cause des châtaignes et des nuages de feuilles mortes soulevées par les micro-tornades des coussins d'air. Mais Supergol m'a arrêté du bras, depuis la banquette arrière. C'est là que je me suis rendu compte qu'il avait enlevé sa ceinture... mais depuis quand ? En me remémorant la façon dont il s'était presque couché sur sa copine pour baisser la vitre de gauche, je me dis qu'il la portait même pas quand on s'est fait contrôlés par la gendarme.
Je nageais en plein cauchemar.

« On entendra pas le son, si tu fermes, aboyait Fred. Tu veux trouver le tekos, ou quoi ? »

J'ai failli lui répondre : « Quoi ! »

Et puis on a trouvé le sentier ; le G.R. Rouge-jaune-rouge. Yohann s'est engagé dessus, braquant à droite. On a encore plané, comme ça, pendant quelques trois-cent mètres, puis la forêt s'est éclaircie. On a d'abord vu une voiture, garée à l'arrache, sur la droite. Puis un van marron sur la gauche, et enfin deux files de véhicules divers, de chaque côté, avant de déboucher dans les carrières. Yohann a commencé à nous engager sur l'une des dernières places libres, mais Fred l'a stoppé, s'exclamant :

« Non, non ! Vas-y, vas-y, fonce ! On trouvera bien de la place au centre ! »

N'ayant jamais mis les pieds dans une teuf, j'ai rien dit. J'en avais marre d'argumenter pour rien. Marre de perdre mon calme à cause de cette sous-nouille.

Alors on a continué, pour découvrir...

Là, tu vois, je trouve pas mes mots.

- A ce point là ?
- Ouais. Je me croyais en plein cauchemar, mais là, c'est devenu carrément indescriptible.

Sous les étoiles se découvraient les carrières. En d'autres circonstances, j'aurais trouvé ça magnifique ! Nous sortions des bois pour découvrir la montagne dans toute sa splendeur. La teuf s'était posée sur un large plateau. A droite, un long muret en pierre de schiste protégeait le promeneur du vide. A gauche, la montagne semblait comme croquée par un géant ! Je te jure : en divers endroits, c'était comme l'empreinte de mâchoires titanesques laissées dans une pomme géante entamée.

Et par strates ! On n'avait pas croqué dans une pomme, mais dans un gigantesque mille-feuilles ! Au carrières de Kerfondu, on extrayait du schiste. Ou plutôt, on en avait extrait, la voiture est d'abord passée entre des bâtiments quelque-peu vétustes. Bas, aux toits de schiste comme rongés par la galle, les anciens locaux présentaient des fenêtres aux vitres explosées et des portes à peine attachées sur leurs gonds.

- T'as l'air de t'y connaître, en pierres !
- Je les collectionne. Depuis toujours ! J'aurais donné ma chemise, pour visiter un endroit pareil.

Mais là, non. Devant les locaux abandonnés, dès l'entrée du tekos, on pouvait voir les teufeurs se dépouiller la tête. La plupart des mecs étaient torse-nu. Et avec des têtes : Tout-à-coup, Fred et sa copine me semblaient beaux, comparés à eux. Tu sais, Coconne, elle est jolie, avec ses tresses ; un quadrillage de tresses blondes toutes petites autour d'une natte plus grosse... même avec ces bijoux plantés derrière ses yeux et cet espèce d'anneau africain dans la lèvre inférieure... jusque-là, ça me paraissait bizarre, mais pas moche ! En arrêtant la moquette et en se renflouant un peu les joues, elle aurait pu être carrément belle !

Enfin, c'est ce que je me disais jusque-là !

Et puis, tout-à-coup, en voyant ces gens presque tous chauves – même les filles -, maigres... maladifs ; j'ai eu peur. Certains sniffaient leur drogue, assis contre les murs vétustes des anciens locaux. D'autres se passaient des bangs à la ronde.

- Des bangs ?
- Des pipes à eau. Et artisanales, encore ! Ça sert à fumer de l'herbe ou du haschisch, disons de façon quelque-peu plus violente qu'au pétard. Ils appellent ça shooter une douille. Les plus beaux sont paraît-il faits d'un tube de bambou. Au tiers de la hauteur, un tube plus fin traverse le gros pour plonger dans un fond de liquide. Sans rire, certains utilisent de la vodka à la place de l'eau ! Mais là, il s'agissait visiblement de bouteilles en plastique détournées pour les besoins d'une dépouille improvisée. Toujours percées d'une tige creuse terminée par la fameuse douille ; probablement la tête découpée d'un marqueur indélébile en zinc.
- T'as quand-même l'air de t'y connaître, là aussi !
- Je te l'ai dit, sur la falaise! Depuis que le parasite squatte chez-nous, il y organise presque tous les soirs des fumette-parties !

Enfin bon. Dans cette douille, tu mets ta beu ou ton schit, mélangé avec un peu de tabac, et au briquet, tu l'allume en aspirant par le haut du bang. Et comme ça, tu deviens encore plus con que tu ne l'était avant de tirer ta douille. C'est fun, c'est fart, ça t'enferme dans le coton et plus rien ne t'atteint.
- T'as essayé ?
- Ça va pas, non ? Je tiens à mes neurones !

Donc voilà ; dès l'entrée, on voyait les gens se dépouiller la gueule, voire même faire leur biz : d'autres teufeurs, debout, semblaient engagés en grande conversation mais serrée, tu vois, presque à se toucher de la tête en jetant des regards furtifs alentours, en s'échangeant ce qui ne pouvait être que thune et drogues.

J'en ai presque oublié le son !

Mais ça vibrait, plus fort que jamais. En dépassant les bâtiments, c'est là qu'on a découvert un plateau couvert de véhicules, voitures, camionnettes, mais éparpillés comme une acné naissante sur le visage d'un ado.

Je m'attendais... je ne sais pas, moi ! D'après les descriptions de Fred, je pensais découvrir de vrais murs de son, tu vois ; des enceintes empilées en murailles, avec un DJ et ses platines derrière chaque mur ou à côté... mais non.

Ah ça, des enceintes, il y en avait quelques unes. Éparpillées au petit bonheur la chance entre les véhicules. Et des danseurs, aussi... enfin ; des loques en kaki, voire torse-nus, couverts de piercings, de scarifications, même ; on évoluait entre eux, cherchant d'après Fred l'emplacement le plus au centre de ce qu'il osait appeler un teknival. Et tu sais quoi ? Une bonne part, j'aurais bien été en peine de te dire si c'était des filles ou des mecs.

Il y avait des gens couchés par-terre, aussi. Ils s'étaient apparemment endormis sur place. Yohann devait louvoyer par endroits pour éviter de passer dessus.

La musique techno sortait de partout. Certains camions, certaines voitures même présentaient de grosses enceintes, le coffre ouvert, et tout le monde y allait de son RAM-dam, participant à une cacophonie insupportable.

- A ce point là ?
- Je vais te dire ; c'était même pire.

A gauche, la paroi en mille-feuille de la montagne renvoyait l'écho du moindre son, du moindre cri parce qu'en plus, les gens criaient ! Ils criaient :

« Allez ! »

Ou encore :

« Culés ! »

Voire même des hurlements désarticulés censés probablement exprimer l'extase ! Et tout ça, plus les vibrations mal rythmées... tout ça, c'était renvoyé par la montagne avec un tel manque de synchronisme ; j'avais envie de hurler moi-même, mais de terreur !

Surtout qu'on passait pas inaperçus ! Tous se retournaient sur notre passage. Je me suis soudain rendu compte de la vétusté de tous les véhicules présents sur le site. On arrivait dans le seul véhicule neuf de la teuf.

Ducon, derrière, semblait en pleine extase, convaincu qu'on avait trouvé le bon site.
Finalement, il s'est exclamé en tapotant l'épaule de mon mec :

« C'est bon ; arrête toi là ! »

Yohann a stoppé la voiture.
Il a pas coupé le moteur tout de suite.
Lui aussi regardait autour de nous avec une expression plus que dubitative... inquiète même, ce qui, chez lui, voulait beaucoup dire.
J'ai lâché :

« C'est pas possible ! C'est pas là ! »

D'un ton goguenard, Fred m'a répondu :

« Mais où tu veux que c'est, Gougourde ? »

En temps ordinaire, j'aurais sans doute repris une telle faute de langage en le traitant d'inculte. Mais là, tu vois, j'étais morte de peur. Là, dehors, c'était la foire aux monstres. Mais c'est nous qui étions en cage ; tous les regards étaient pointés sur nous. Oh, personne ne s'approchait ! Ils nous dévoraient néanmoins du regard, dansant sur place, attendant qu'on sorte du véhicule.

Passant son pouce sur le capteur derrière le volant, Yohann a coupé le moteur. J'ai entendu les roues se déplier, sous la voiture. On s'est posés en douceur. Ouvrant sa portière, Fred a jailli hors de la voiture. Sa copine l'a suivi par le même chemin. Moi, j'osais tout simplement pas sortir. Paniquée, j'ai regardé mon mec. Lui non plus, ne savait visiblement pas quoi faire. Finalement, il m'a dit :

« Attends là ! »

Et il est sorti à son tour. Il a fait le tour de la voiture pour rejoindre les autres.

Une fille s'approchait de Fred. Elle arborait une espèce de crête rose bonbon entre deux plaques de métal comme vissées sur son crâne. Elle portait un t-shirt moulant kaki ; c'est comme ça que j'ai su que c'était une fille ! Ça et les cheveux roses, quoique... plus rien ne m'aurait surprise. Et puis, un pantalon vert camouflage sous une jupe noire.

Un mec approchait aussi, grand, torse-nu, musclé quoique noueux de partout, en pantalon de camouflage lui aussi... c'est là que j'ai réalisé que tous étaient vêtus de surplus militaires. Le Fred faisait déjà complètement tache, avec son t-shirt de farces et attrapes.

- Comment ça ?
- Je l'ai pas dit ? Il porte un t-shirt vert camouflage, lui aussi, mais avec une grande inscription à la teintures blanche sur la poitrine.

Ca dit :

« Je suis écolo, je ne chasse que les filles ! »

Le genre de truc qui résume d'avance et sa mentalité et son quotient intellectuel, quoi !
En voyant la fille approcher, Concon a lancé :

« Salut ! »

Par ma vitre ouverte, je l'entendais à peine, dans le vacarme environnant. La fille a répondu :

« Ouais !
- Dis donc, poursuivait Fred ; c'est bien ici, le son des Poches !
- Quoi ? »

Le mec, lui, s'approchait de la voiture. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il était pas chauve. Ou alors si, mais seulement du côté gauche. Sauf que, de ce côté là pointaient des cornes, je t'assure ! De grosses cornes cônique, une sur la tempe, l'autre vers l'arrière du crâne. Du côté droit poussait un duvet brun rasé en spirale ! Et un visage ! Maigre, aux yeux profondément enfoncés dans leurs orbites... effrayant !

En entendant Fred, il s'est ravisé.
Yohann aussi, en voyant le monstre se diriger vers moi, avait commencé à revenir vers la voiture. Mais à ce moment là, tout s'est figé. Miss Tresses, la copine de Nounouille, s'était pour sa part accrochée au bras de son crétin.

Le grand mec a fait un pas vers Fred en criant :

« Tu peux répéter ?
- Je te demande de confirmer à notre copine que c'est bien le son des Poches, insistait Supergol avec un sourire niais. Elle veut pas me croire ! »

Tout-à-coup, le gorille à cornes a explosé :

« J'encule les Poches !
- Ouais !
- Ouaiiiiiiiis !
- Alleeeeeez !
- On les met profond, les Poches ! »

J'ai réalisé soudain qu'on était encerclés. De partout, une foule de teufeurs mécontents s'approchaient de la voiture. Des gars, des filles, des monstres aux visages menaçants. L'un d'entre eux a hurlé :

« Ils ont pas voulu de nous, les Poches ! »

Là, au moins, j'étais fixée : on n'était pas au bon endroit. Mais tu vas rire, le Fred a insisté :

« Ah bon ? Mais nous, on cherche le son des Poches, c'est où ? »

Toujours hurlant, le cornu a fait deux pas vers Fred et sa copine en ouvrant les bras à la ronde :

« Quoi, il est pas bien, notre son ?
- Heu... si, mais... »

Le gars était sur lui. Il l'a attrapé au col. L'arrachant de sa copine, il l'a carrément soulevé du sol. On voyait une fureur indescriptible, sur son visage. Les autres s'attroupaient tout autour. Mon mec est arrivé derrière le géant, il lui a donné un coup de poing dans les côtes, par derrière. Ça l'a littéralement plié en deux ; il a dû lâcher Fred.

Mais il s'est vite redressé. Mon mec et lui se sont retrouvés face à face. L'autre prenait une vraie pose de gorille. Yohann, lui, s'était mis en garde. Il fait du Jiu-jitsu, tu sais... enfin, il faisait avant que Nounouille vienne pourrir notre vie. Mais là, il s'est rapidement retrouvé encerclé, d'autres mecs commençaient à prendre des poses menaçantes, tout autour.

Tu vois, là, j'ai cru à ma dernière heure, termine la conteuse dans un sanglot. »

Quelques secondes passent dans le silence. Vers le sud, on entend vibrer la terre. La jeune femme, presque assise au pied de l'arbre, prend une grande inspiration et reprend :

« Mais surtout, j'ai cru à la dernière heure de Yohann. Je te l'ai dit, je pourrais pas vivre sans lui. S'il l'avaient tué, je me serais volontiers offerte en sacrifice !
- Mais vous en êtes sortis, devise l'autre voix féminine depuis une branche basse !
- On en est sortis, oui, répond la jeune femme en séchant ses larmes d'une main. Mais je te jure, c'est vraiment pas grâce au Fred.
Un autre mec a débarqué de nulle-part, on se serait crus dans un mauvais polar ! Petit, noueux lui aussi, vêtu comme les autres de surplus de l'armée, complètement chauve mais sans piercings ni scarifications ni cornes ni quoi que ce soit d'autre à part un flingue !

Comme un génie jaillissant de sa lampe, ce gars est sorti de la foule en brandissant un flingue et en hurlant :

« Police ! Tout le monde se fixe ! »


A suivre...

samedi 6 octobre 2012

Les Raves se racontent au présent 1.6

Gendarmerie Nationale !

Quelque part au pied d'un arbre, de nuit, près d'une rave qui fait trembler la terre...
Dans la pénombre d'un bosquet de châtaigniers, une voix féminine raconte :

« On avait roulé pendant quatre heures sans s'arrêter. Enfin, roulé... plané sur des coussins d'air à micro-tornades. Quatre heures en écoutant une techno mal enregistrée le volume à fond, pour finalement se perdre presque au pied d'un montagne, en pleine nuit, en cherchant un village breton dans les Cévennes. En cherchant un patelin qu'on n'arrêtait pas de traverser parce qu'on savait pas que c'était là ! Parce que Monsieur Je sais Tout Café Fredo Regardez-Moi Comme Je Suis Frais Comme Je Suis Dynamique Comme Je Suis Con pouvait pas admettre que des pecnots de montagne s'étaient éventuellement foutus de sa gueule, en nous prévenant pas que nevez, en breton, ça veut dire nouveau !

- Eh ! Respire, intervient une autre voix féminine !
- Désolée ! Mais quand-même ; degemer mat et Remungol Nevez ! En cherchant la Nouvelle Remungol, y'a de quoi se poiler, non ? Merci, les Pépères, sur leur banc public ! Sans eux, on chercherait encore ! Sans eux, jamais on n'aurait su qu'il fallait s'adresser aux gendarmes, à l'entrée du chemin qui mène au Tek-Noz !

Et l'autre empaffé, là, derrière, s'excitait par peur d'affronter la maréchaussée ! Quand je l'ai remis à sa place, tiens ; le ton a changé ! Monsieur prétendait pouvoir embobiner la police pour savoir où trouver le tekos.

Sous les étoiles, entassés à quatre dans une tornade volante grise, mon mec au volant et la copine de Nounouille, à l'arrière, qui avait enfin fini de compter sa fortune... je sais pas. On me l'aurait raconté, j'y aurais pas cru !

On approchait de l'endroit où on avait repéré les gendarmes, la première fois. On approchait dans le silence, je te rappelle que Ducon avait fini par griller l'auto-radio, fusillant du même coup le GPS et le seul accès internet de la voiture.

Là, sur la gauche, à l'entrée d'un embranchement de terre en patte d'oie nous attendaient la fourgonnette et les deux motos, accompagnées de leurs six gendarmes. Le van blanc avait disparu, probablement déjà garé sur le parking de la teuf. L'un des chemins, celui de gauche, était barré d'un ruban jaune et gardé par deux de ces messieurs en uniformes. Tous deux portaient un casque de moto à visière informatique. Même de loin, on pouvait voir défiler des lignes d'informations blanches sur fond noir. Evidemment, pas moyen de voir leurs visages !
Derrière le ruban de la police, un panneau indiquait : « Carrières de Kerfondu ».

L'autre chemin semblait libre d'accès. Près de la fourgonnette attendaient trois gendarmes à casquettes et une gendarmette. Ses formes généreuses étaient visibles sous son uniforme.

Quand mon mec a baissé sa vitre, la femme s'est présentée à la fenêtre. Elle portait la casquette réglementaire, tu sais, avec un écran transparent qui pend sous la visière. Je me suis toujours demandée comment ils arrivaient à nous voir, avec toutes ces informations défilant devant leurs yeux. Des lignes de texte, des chiffres... je pourrais pas, moi ! Elle nous a salués en disant d'une voix grave :

« Gendarmerie Nationale ! »

Et là, tu sais ce qu'il a dit, Fred, derrière moi ?
Il a dit :

« Sans blagues ! Merci de nous le dire ; on n'aurait pas deviné ! »

La gendarme a juste jeté un bref regard vers lui. Pendant que ses trois collègues inspectaient le tour de la voiture, elle a brandi un petit écran lcd à mon homme en disant :

« Veuillez apposer votre pouce sur le pad, s'il-vous-plaît ! »

Je t'assure ! Ils étaient trois à faire le tour de la caisse ! Et pour inspecter quoi ? Si c'est pas de la méthode d'intimidation, ça, alors moi, je vais direct me faire enfermer dans un couvent ! Tu crois que ça l'aurait retenu, Nounouille ? Mais non ! Tandis que mon mec obtempérait en posant son pouce droit sur le pad, Fred s'est exclamé depuis la banquette arrière :

« Vous devez être contents, maintenant que vous avez les empreintes digitales de tout le monde ! Bienvenue en mille-neuf-cent-quatre-vingt-quatre ! »

Ce disant, il baissait sa propre vitre. Ça faisait : vvvvvvv... Je suis sûre qu'il se croyait discret !

« Je connais ce vieux film, Monsieur, a répondu la gendarme sans perdre son calme. »

Devant ses yeux, on pouvait voir la photo de mon mec, juste sous sa visière. Elle était accompagnée d'informations en caractères inversés.

« Nous ne forçons personne, poursuivait-elle.
- Seulement les automobilistes, insistait Fred en s'accoudant l'air de rien sur sa portière !
- Nous ne forçons personne à conduire ! »

Puis, à l'intention de mon homme :

« Vos permis et assurances sont en règle. Je vois que le véhicule est neuf ! »

Et tu sais quoi, mon mec a même pas eu le temps de répondre. Ce soir, le Fred avait décidé de se faire une gendarme. La tête presque hors du véhicule, il a lancé :

« Ben voyons ! Et c'est quoi, cette campagne médiatique... attendez voir ; comment c'est ? Ah, ouais : Donnez vos Empreintes ! »

La gendarme a lâché mon mec pour se tourner vers Fred. Quelque-part derrière elle, on entendait les vibrations de ce qui ne pouvait être que de la musique techno. En soupirant, elle a dit :

« Justement, nous ne forçons personne ! Les gens honnêtes les donnent spontanément, leurs empreintes. Qu'est-ce qui vous fait peur ? »

J'ai cru qu'on aurait droit à une fouille complète de la voiture. Je savais que la copine de Fred se trimbalait du hashish ; j'avais dû me battre pour lui interdire d'enfumer le véhicule. Et ce con là qui provoquait... quoi ? Même en y regardant bien... j'y connais rien, aux insignes ! Mais là, on était contrôlés par une femme qui me semblait savoir se contrôler elle-même, pendant que trois mecs en uniformes faisaient semblant d'inspecter les pare-chocs !

C'était au-moins une adjudante !
Et le Fred qui faisait son coq !
On étais carrément bons pour la sonde anale !
Abandonnant sa fenêtre, il s'est quasiment allongé sur les genoux de sa copine pour ouvrir la vitre de gauche. On était en plein été indien, mais j'ai senti un courant d'air froid me hérisser la nuque.
La gendarme l'a regardé faire. Puis elle s'est approchée de mon mec, à l'avant, presque à rentrer sa tête dans la voiture... j'ai vu avancer la photo de Yo jusqu'à le toucher lui-même. Avec un sourire effroyable, elle lui a dit :

« Dites-moi que vous les avez pris en stop et je vous pardonne. »

Triturant ses cheveux courts, mon mec a répondu :

« Heu... oui, oui ! On les a pris en stop ! »

Ensuite, elle m'a regardé... j'en menais pas large !

« Hého, vous faites quoi, là, commençait Fred, tendant l'oreille gauche hors du véhicule.
- Mais bordel de merde, tu vas la fermer, oui ? »

Une fois de plus, j'ai explosé, comme ça, littéralement ; sous les yeux ébahis de la femme flic ! Je lui ai crié bordel de merde, au Fred ! Il a sursauté tellement fort qu'il s'est pris le haut de la portière.

« Calmez-vous, mademoiselle, m'a dit la gendarme. Ecoutez... »

Son sourire avait disparu. Elle avait l'air ennuyée, comme prise en faute pour avoir eu la mauvaise attitude.
La main sur sa future bosse, Ducon était revenu à sa place.

« Vous venez du Morbihan, demandait la gendarme ? »

Mon mec a répondu timidement :

« Oui !
- Je suppose que vous allez au Tek-Noz ?
- C'est ça ! On va au Tek-Noz.
- Consommez-vous des stupéfiants ?
- Non ! Absolument pas ! »

Derrière, la copine de Fred semblait ailleurs. Son regard explosé de junkie de merde se perdait dans les bois à travers la fenêtre ouverte. Tu vois, même là, je saurais pas te dire son nom. Mais à cet instant précis, je les aurais bien débarqués là, elle et Fred ; qu'ils se démerdent avec la police ! 
Là bas, assez loin vers la gauche, au-delà des deux motards qui gardaient le chemin fermé, on entendait les vibrations et les cris d'une fête en extérieur.
La gendarme a repris :

« Donc, vous n'en possédez pas non-plus ?
- Non, M'dame !
- Eh bien, vous empruntez le chemin de droite. Vous allez tout droit sur cinq-cent mètres. Là, le sentier va descendre en lacets. Je vous conseille de déplier votre essieu ; il y a un à-pic. De toute façon, vous arriverez dans une plaine herbeuse. Vous verrez, vous ne serez pas dépaysés ; en bas, c'est la Bretagne ! On vous placera. Bonne soirée ! »

Elle s'est redressée pour nous laisser passer.
Et on est passés !

Toujours sur coussins d'air, on s'est engagés sur le chemin libre ; un large sentier forestier.

Sur cent mètres, personne n'a rien dit.
Mais après un virage à droite, Fred s'est exclamé :

« Gare toi là ! »

Yohann a ralenti, mais sans se garer.

- Yohann, intervient l'autre voix féminine ?
- Mon mec, répond la conteuse.
- Oh !
- Je croyais te l'avoir dit ! De toute façon, on peut pas être trente-six au volant !
- Pardon ! Continue !
- D'ailleurs, quand je dis au volant ; dans ces aéros, ça ressemble plus à un manche à balais. Tu sais, comme dans un avion : deux arcs de cercle à chaque bout d'un axe. Il l'a même pas tourné, il a juste freiné. Devant nous, sur la gauche se dressait une fontaine en pierre. Une belle fontaine ; propre, mais fermée. Juste une vasque en pierre sous une dalle verticale ornée d'un robinet. Au-dessus de celui-ci, une inscription gravée indiquait : Potable.

J'ai demandé :

« T'as soif ? Y'a de l'eau, dans le coffre ! »

Gudule a répondu d'un air désabusé :

« Mais non ! Pfff »

Puis, en tapotant l'épaule de Yo :

« Vas-y, vas-y ; gare toi ! »

Mon mec nous a garés sur le côté, près de la fontaine.

« Coupe ton moteur ! »

Obéissant à Supergol, Yohann a passé le pouce sur un capteur près du volant ; le moteur s'est arrêté. Il a demandé :

« Et alors ?
- Shhht, faisait Fred en tendant l'oreille dehors. »

On n'entendait presque rien.
Juste cette vibration, sur la gauche, qui semblait faire trembler la terre.
Fred a dit :

« Vous entendez ? »

Sa junkie a vaguement tourné ses tresses dans la direction indiquée. J'ai baissé ma vitre. On entendait distinctement de la techno, par là-bas... des cris, aussi. On y faisait manifestement la fête.

« Vous voyez, insistait Fred ? C'est là bas ! C'est pas devant ! C'est pas dans la plaine ! Les keufs nous baladent ; je vous l'avais dit !
- Quel intérêt, j'ai demandé, ils auraient à nous balader comme ça ? Ils doivent bien savoir qu'on va revenir !
- Mais t'as pas vu le chemin barré ? Il veulent pas qu'on y aille, c'est évident, Gougourde ! T'as pas vu le panneau ?
- Mais quel panneau ?
- Des carrières ! Des carrières de pierre, Cocotte ! C'est l'idéal pour poser un tekos ! C'est là-bas, je vous dis ! »

Mon mec, lui, ne disait rien. Il nous regardait, successivement. Finalement, il s'est décidé :

« Tu proposes quoi ? On se gare là et on y va à pieds ?
- Tu rigoles ou quoi, s'excitait Fred ? Tu conduis une planante ! Vas-y ; à travers bois ! »

Les bois, eux, ne me semblaient pas très engageants. Le sous-bois semblait propre. C'était une forêt de châtaigniers. Mais je n'en avais jamais vue de comme ça, en Bretagne.Tu vois, chez-nous, on y trouve des arbres et, éventuellement, des bosquets d'arbuste, d'ajoncs, de buissons... de petites choses quoi ; pas des bosquets d'arbres ! Et en tout-cas pas comme ceux-là !

J'arrive même pas à trouver les mots pour te décrire ça.

- Essaie quand-même !
- Eh bien...

Je vais te dire : j'ai d'abord vu un marquage à la peinture ; une ligne rouge au-dessus d'une ligne jaune. On était sur un G.R. ! Mon mec et moi, on adore la randonnée ! Enfin... on pratiquait, jusqu'à-ce que le parasite re-débarque dans sa vie. On était sur un chemin de grande randonnée, quoi !

Mais au lieu de le voir sur un arbre, le marquage, je l'ai vu sur le barreau d'une cage !

Je t'assure ! Là, à gauche, c'était une forêt de grands châtaigniers, mais comme enfermés dans des parcs à bébés ! Des arbres ordinaires, mais entourés de barreaux ! Droits, fins, disposés en cercles, de vraies prisons ! Pendant un moment, j'ai vraiment cru que les indigènes avaient enfermé les arbres dans des cellules de métal. L'espace d'un instant, je me suis dit : ça peut pas s'échapper, un arbre, donc, ça doit être pour les protéger des touristes !

Mais non ! Yohann, s'est décidé. Il a rallumé le moteur. Braquant à gauche, il nous a engagés entre les arbres, dans la direction du son. Là, j'ai vu que c'était pas du métal.

- Quoi, les arbres ?
- Non, les barreaux ! Enfin, si ; les arbres !
- Des rejetons !
- Pardon ?
- De jeunes arbres. En Bretagne, il y a du vent partout et dans tous les sens. Du coup, les rejetons poussent où ils veulent.
- Ah, d'accord ! Ha, ha ! Ça doit être pour ça qu'ya des bretons partout dans le monde !
- Non, sans rire ! Ici, dans les Cévennes, aux endroits protégés du vent les jeunes châtaigniers poussent en cercle autour de leurs parents.
- Dis-donc, t'en connais, pour une chatte !
- J'ai vu du pays.
- En tout cas, c'est lugubre ! Des arbres en prison...
- Et encore, t'étais en voiture, t'as rien entendu !
- Comment ça ?
- Ici, à pied, dans les bois, on entend les rejetons grincer contre les branches des grands arbres. Ça donne comme des voix fantomatiques, surtout la nuit.
- Ah ouais ? Eh ben, même sans les entendre, j'étais pas très rassurée, en passant entre ces arbres en cage. Même en voiture !
On a fini par retrouver l'autre chemin ; celui des carrières. C'était un autre G.R. ; le marquage sur les arbres était différent. Une ligne jaune entre deux rouges.

Yohann s'est engagé dessus. Désormais, même sans mettre la tête dehors, on entendait la musique techno, droit devant. On planait vitres ouvertes et je commençais à avoir sérieusement froid.
Et voilà ! Grâce au Fred, nous avions trouvé le chemin d'un tekos où les gendarmes ne voulaient manifestement pas qu'on aille. »


A suivre...

vendredi 7 septembre 2012

Squirrelboy 1.2

Lève-toi !


Allez ; relève-toi !

« Non ! »

S'il te plaît !

« Je veux pas ! »

Allez ; vas-y !
Tu es tombé ; relève-toi !

« J'suis pas tombé : je me suis assis ! »

Dans les ronces ?

« Tu peux pas comprendre ! »

Tu veux que je te donne une potiche ?

« Pardon ? »

Heu... non, ça ; laisse tomber : là, c'est toi qui peux pas comprendre.

« Mais enfin... t'es qui ? Pourquoi je t'entends ; t'es où ? »

Peu importe !

« Ah, mais moi ; je veux savoir ! »

Tu te souviens pas ? Tu m'as créé !

« Comment ça ? »

Tu te sentais seul.

« J'étais pas seul ! »

Tu parles !

Allez ; lève-toi !

« Non ! »

Alors tant-pis pour toi !

« C'est ça ! Tant-pis pour moi !

De toute façon, l'araignée a mangé la chenille !
Tu vas voir ; les ronces finiront par me manger aussi !

Eh !

T'es où ?

Oho !

Pfff ! C'est ça ; casse-toi !
J'ai pas besoin de toi, j'ai l'autre chenille !

Où est-elle passée, d'ailleurs ?
C'est vrai que je suis assis dans les ronces !
Qu'est-ce que ça peut lui faire, à lui ?

Levant la tête, je crie :

« Hého ! »

Seul un écho renvoie mon appel.

Bon.

Mais l'autre chenille a dû plonger entre les feuilles mortes agrafées sur ma barbe.
L'araignée aussi a disparu !
Je vois moins ; la lumière décline.
Je suis empêtré dans les fougères et les ronces ; je vois à peine la cime des arbres.

Quelque-chose a bougé, là haut !
C'était furtif !

J'entends trotter, derrière moi... je me retourne ; sur le chemin que j'ai taillé dans les ronces arrive un écureuil.
Prudemment, sinuant par petits bonds entre les ronces étalées par terre.

Il s'arrête, me voit.
A la lueur du crépuscule naissant, il paraît brun et non orange. Mais je le connais !

L'écureuil fait encore deux bonds. Il lève la tête vers moi, tend le cou... d'une toute petite voix, il dit à toute vitesse :

« T'es parti ! »

Je réponds :

« Ben ; oui ! »

L'animal regarde autour de lui. Il lève la tête vers le ciel et s'écrie :

« Parti ! »

Tout autour, un chant de voix minuscules jaillit des arbres alentours :

« Parti !
- Parti !
- Parti !... »

Des dizaines de petites voix se renvoient le mot dans la frénésie du feuillage des arbres.

« Parti !
- Parti !
- Parti !... »

Le chant continue pendant quelques secondes puis se calme.

Presque à mes pieds nus, calleux et ensanglantés, le premier écureuil me regarde à nouveau.
Je m'exclame :

« C'était plus possible ! »

Il fait encore un bond ; atterrit entre mes jambes.
Levant la tête, il demande :

« Pourquoi ? »

Quelques voix lui fond écho dans la cime des arbres :

« Pourquoi ?
- Pourquoi ?
- Pourquoi ?
- Pourquoi ?!... »

Assis dans les ronces avec pour toute pudeur une longue barbe peuplée de chenilles... couvert de terre et déchiré par les épines, je dis :

« C'est pas contre vous ! Mais vivre avec les puces, c'était plus possible. Et puis, dormir en haut d'un arbre ; c'est pas fait pour moi.
- Oh ! »

L'écureuil lève à nouveau la tête vers le ciel. Il s'écrie :

« Partiiiii ! »

Personne ne répond. L'animal reste ainsi la tête levée pendant quelques secondes.
Finalement, il retombe sur ses pattes avant ; lève les yeux vers moi :

« Reviens ! Dit-il de sa toute petite voix. »

Je réponds :

« Je peux pas !
- Reviens !
- Reviens !
- Reviens !... »

Chantent les arbres alentours.
A nouveau ; les voix se calment.

Toujours ; je réponds :

« Je ne peux pas ! »

Mais le chant des arbres change.
Alors que certaines voix chantent encore :

« Reviens ! »

D'autres se mêlent à elles pour demander :

« Pourquoi ?
- Reviens !
 - Reviens !
 -Pourquoi ?
- Pourquoi ?
- Reviens !
- Pourquoi ?
- Pourquoi ?
- Pourquoi ?... »

Jusqu'au premier entre mes genoux qui se relève et dit :

« Pourquoi ?
- Je dois retrouver les miens ! »

Mon petit écureuil s'écrie alors :

« Famille ! »

Son cri est repris par les arbres :

« Famille !
- Famille !
- Famille !... »

Je m'exclame :

« Non ! Pas vous ! »

Un écho répercute mon cri tandis que les écureuils se taisent.
Le premier, devant moi, prend une grande inspiration et demande :

« Qui ?
- Qui ?
- Qui, renvoient ses frères ?...
- Eh bien ; les miens ! Les gens comme moi : marchant sur deux pattes et par-terre ; pas en haut des arbres ! »

D'une voix mourante, je termine :

« Des gens qui portent des vêtements, quoi ; ça me manque ! »

L'écureuil penche la tête sur le côté...
Il reste ainsi quelques secondes, puis :

« Comme toi ?
- Oui ; comme moi ! »

Les petits yeux noirs de l'animal se perdent à nouveau dans le vide.
Finalement, il se retourne ; il s'éloigne d'un bond.
Il se redresse, tourne encore la tête vers moi :

« Viens, dit-il ! »

Je réponds :

« Non ; je ne veux pas !
- Viens, insiste-t-il ! Comme toi ; viens ! »

Il me fixe quelques secondes encore, puis tourne la tête vers le bois hors des ronces.
Il lance :

« C'est par là ! »

Surpris, je m'étonne :

« Tu sais où ils sont ?
- C'est par là, répète-t-il !
- Qui ; les miens ?
- Oui, répond l'écureuil ! Par là ! »

Sa tête fait maintenant le va-et-vient entre moi et la sortie.

« C'est par là, lance-t-il encore. »

La frénésie a repris dans les arbres. Les feuillages tremblent ; les écureuils courent sur les branches, chantant de leurs voix :

« Par là !
- Par là !
- C'est par là !... »

Je reste encore assis dans les ronces.

Il y a un instant, j'ai parlé avec une voix imaginaire ; je m'en souviens bien.
Un écureuil vient de me dire qu'il connaît ma route ; tout va bien !

Quitte à se laisser mourir !

« Autant le faire en marchant, dis-je à l'écureuil !
- Marchant ?
- Oui, en marchant ! »

Laborieusement, je pose les mains entre les ronces.
J'ai mal partout, mais je ne sens pas mes pieds.

Je les pose à leur tour, je pousse sur mes bras...
Je finis par me retrouver debout.

Je fais un pas en évitant les ronces...

« Viens, s'écrie l'écureuil ! »

Il fait un bond, puis deux... s'éloigne de moi.
Je le suis...
Un bond après l'autre, il me sort des ronces.

Il fait déjà presque nuit.
Je suis revenu dans un sous-bois plus propre. Je reconnais des buissons de houx entre les châtaigniers. Sur un tronc, à hauteur de mes yeux, l'écureuil m'attend.

Il dit :

« C'est par là ! »

Je m'approche de lui... je lui demande :

« Par où ?
- C'est par là, répond-il ! »

plus loin, une autre voix répète :

« Par là ! »

C'est un autre écureuil, perché sur un tronc ! Il y en a d'autres plus loin ; chacun sur son arbre.

« C'est par là, chantent-il tous ! »

Ils me montrent un chemin !
Les écureuils se sont disposés en zig-zag sur les arbres ; chacun le sien.
Un pas après l'autre, je passe entre eux. Chacun me suit de la tête en répétant :

« C'est par là !
- Par là !
- C'est par là !... »

Il y manquerait presque une révérence.
Je parcours le chemin des écureuils.

Les feuilles mortes tombent une à une de ma barbe.

Il fait nuit.
Au fond des bois, nu comme un ver...

Guidé par les écureuils, je marche. »


A suivre...
Eric Gélard

mercredi 29 août 2012

Je me suis réveillé au Paradis 1.2

Bienvenue à la Nouvelle Remungol !


Après avoir été réveillé par une elfe à la peau verte puis bleue ; je me retrouvais au lit dans une chambre bleue qui était verte à mon réveil, un breuvage étrange à la main et un goût de guimauve à la fraise au fond de la gorge.

Il m'a fallu un moment, avant de bouger.
Face à moi, la porte entrouverte m'invitait à plonger plus profond dans le rêve.
Bleue avec des panneaux ivoire chargés de brouillard, elle tendait vers moi une poignée en bouton d'or.
J'entendais  une voix, au-delà de cette porte, trop étouffée pour que je puisse comprendre. Mais je reconnaissais la voix de l'elfe ; une voix... tellement familière mais jeune !

J'ai sorti une jambe de cette étrange couverture douce et légère désormais bleu-roi ; une toute petite jambe gauche. Elle a glissé sur le côté du lit, rapidement suivie par sa sœur alors que je m'asseyais en repoussant la couverture. J'avais les jambes vêtues de braies blanches taillées sans une seule couture dans un tissus incroyablement léger, doux au toucher et brillant !

Elles semblaient si petites, mes jambes !

En haut, j'étais couvert d'une simple tunique du même tissus, mais... tellement courte !
Poussant sur une mains, je me suis levé ; elle m'arrivait à peine aux hanches alors que moi-même, j'avais une taille d'enfant.

Je tenais toujours un verre à moitié plein dans la main droite. Le liquide rose pétillait à l'intérieur. Je l'ai porté à ma bouche. J'en ai bu une gorgée ; à nouveau cette sensation coulait le long de ma gorge... j'ai fermé les yeux.

Je voyais une main, ma main ! Pas cette main d'enfant qui tenait mon verre, mais la mienne ; une main adulte, serrant une pierre étrange. Celle-ci, terne mais chaude, bombardait ma paume de milliers de minuscules épines chatouillant la peau avec la même intensité que cet étrange feu à la fraise ma langue et mon palais.

J'ai levé mes paupières...
Les yeux à demi-fermés, j'ai relevé la tête.
Dehors un arbre dansait au gré d'une forte brise... sous un ciel bleu.
Son feuillage vert frétillait au-delà d'une fenêtre rectangulaire composée d'un seul vitrage.

Les pieds nus dans une moquette extraordinairement douce, j'ai fredonné :

« Pas un chêne, ni un châtaignier... pas un frêne, ni un marronnier... »

La vieille ritournelle me semblait surgie du fond des âges.  J'ai continué ainsi, le verre à la main. Les feuilles défilaient devant mes yeux mi-clos ; « feuille de bouleau, feuille de pommier... », ainsi que les arbres, leurs formes ; « ombre de sureau, reflet de poirier »...

Pendant quelques minutes, tous les arbres de mon répertoire y sont passés ; celui-ci n'en faisait pas partie.
Je sentais le verre s'alourdir, dans ma main droite. Il était pourtant vide. Le coude engourdi, je l'ai passé à gauche... j'avais les doigts si courts !

Pliant les genoux, je l'ai posé sur la table de nuit.

J'ai fait un pas vers la porte, dans la moquette bleu-ciel.
La voix venait de plus à gauche ; elle semblait traverser le mur au-dessus de la commode bleue aux tiroirs liserés or. Elle paraissait surgie de ce brouillard ivoire qui emplissait le mur, dansant au gré de la brume.

J'ai traversé la chambre jusqu'à la porte ; la moquette était chaude !
Tendant le bras droit vers la poignée en bouton d'or, j'ai plié le genou gauche. J'ai passé l'autre main sur la plante de mon pied ; chaude... c'était agréable !

J'ai reposé le pied.
La voix de l'elfe semblait vraiment sortir du mur, sur la gauche.
C'était impossible !
Ça se passait forcément de l'autre côté.
Je pouvais presque distinguer ses paroles.
Elle s'écriait :

« Mais oui ! Une heure ! »

Elle est repartie dans un monologue assourdi et incompréhensible.
Tirant la poignée, j'ai ouvert la porte.
De l'autre côté, tout était rose.
De la main gauche, j'ai attrapé le chambranle. J'ai fait un pas en avant.
J'ai juste eu le temps d'entrevoir droit devant une autre porte qui flottait dans le vide d'un brouillard rose ; sur la droite un comptoir de marbre fuchsia sur lequel perchaient deux étranges oiseaux roses au bord de vasques rose-bonbon ; sur la gauche un bassin en granit rose rempli d'eau, au bord duquel perchait un volatile tout aussi rose deux fois plus gros que les autres.

Je me suis exclamé :

« Oups ; pardon ! Je veux pas déranger... »

Avant de me rendre compte d'une part que je venais de m'adresser à des piafs et d'autre part que lesdits oiseau étaient en marbre.

Pas de trace de l'elfe.

Reculant d'un pas, j'ai refermé la porte.

La voix sortait vraiment du mur !

Alors je me suis approché de la commode.
Campé sur mes petites jambes et sur mes petits pieds nus, j'ai posé les deux mains sur la surface de celle-ci et j'ai plongé mon regard dans le mur.

Rien.

Rien d'autre que ce brouillard ivoire qui me narguait de ses volutes dansantes et cette voix douce et lointaine... je la comprenais presque ! Elle disait :

« Tut, tut ! On n'est plus à l'âge de Pierre !... »

J'ai pris un grand bol d'air.
Expirant, j'ai soufflé... la brume s'est écartée !

Écarquillant les yeux, j'ai soufflé encore ; j'ai chassé le brouillard pour découvrir...

Comment trouver les mots pour décrire ça ?

Là, dans le mur en face de moi... à peine à quelques pouces !
Il faisait nuit, c'était les bois... comme un oiseau, je voyais d'en haut une... un...
Un véhicule ; c'était certain.
Mais tiré par aucun cheval. Par rien, en fait... gris, évoluant sur une route sombre à la surface aussi lisse que celle d'un mur.
Là, dans le mur en face de moi, c'était un autre monde ; avec même un haut et un bas orientés différemment !

Voilà ce que j'ai vu dans le mur, après m'être éveillé dans cette chambre bleue mais verte quand j'ai ouvert les yeux, accueilli par une elfe capable de changer de couleur.

J'entendais mieux la voix ; elle contait :

« Mais comme c'est supergol ! Sauf que ça capte rien quand le son grille la machine. Du coup, on s'est perdus... »

A mesure que la voix contait, tout ce qu'elle disait se déroulait là ; sous mes yeux à l'intérieur du mur.

Je voyais l'étrange carrosse parcourir les campagnes, arriver à un village bordé d'arbres fins et droits diffusant de la lumière en leur sommet...

Un pur rêve de fou !

La voix psalmodiait :

« On visait un village du nom de Nouvelle Remungol. Ça ; impossible à oublier, surtout dans les Cévennes. Genre ; ça devait être un village d'expatriés bretons.

Mais lui, là ; Supergol, ça le faisait marrer ! Il s'esclaffait :

« C'est Supergol, non ? On quitte la Bretagne, on fait huit-cent bornes pour aller en teuf et hop ! C'est chez des bretons ! »

Ceci presque en boucle ; je l'aurais frappé !
Mais je me retenais...
Je sais pas comment.

Mon mec, lui, tenait son volant des deux mains, le regard perdu dans sa conduite, comme d'habitude. Il conduisait vite, mais bien ; il parlait peu, voire pas.

Je bouillais littéralement à côté du lui ; j'avais déjà envie de bondir sur l'autre abruti pour... je ne sais pas, moi ! Avec un peu d'imagination... ; foutre à poil ce connard et graver à l'ongle une carte sur son bide pour, au moins, trouver le chemin du retour !

A côté de lui, sa copine à tête de tresses comptait pour la énième fois sa liasse de billets en rêvant sans doute à la dépouille qu'elle allait se payer. Je lui en aurait bien offert une, moi, de dépouille !

Mortuaire !

Mais à force de tourner sur des routes à peine assez grandes pour laisser passer un cheval, on a fini par trouver la Nouvelle Remungol ; un charmant petit village aux toits d'ardoise encore insolites pour la région, presque au pied d'une montagne.

Et tu sais quoi ? On l'avait déjà visitée !

Deux fois !

La première fois, on a juste traversé, parce que d'après Gogol, c'était pas là.

Il faisait déjà nuit depuis plus d'une heures.

A l'entrée du patelin, le panneau affichait : Remungol-Nevez. Il était rapidement suivi d'une affiche de bienvenue annonçant à renforts de diodes luminescentes blanches sur fond noir : Degemer mat e Remungol-Nevez. Le texte se terminait par un magnifique drapeau breton, toujours en diodes blanches sur fond noir.

Fred s'est écrié :

« Regardez ! On y est presque ! »

Plus pour me détendre qu'autre chose, j'ai réagi d'une voix monocorde :

« Youpi ! On a trouvé la Nouvelle Remungol ! Plus qu'à découvrir une terre-promise perdue dans les bois !
- Ah non, a repris Duglue tout fier de sa bêtise ! On n'est pas à la Nouvelle Remungol ! T'as bien vu le panneau ? On est à Remungol-Nevez. Mais ça veut dire qu'on y est presque !
- Et t'as vu ça où ; dans une boule de cristal ?
- Mais t'y connais vraiment rien, Cocotte ! C'est souvent, que des villages voisins portent des noms voisins. Donc, la Nouvelle Remungol, c'est le village suivant ! »

Sur le moment, j'ai rien dit ; il y avait comme une logique à sa connerie.

On a donc traversé Remungol-Nevez.
Avec nous dedans, la voiture est passée entre des maisons entourées de jardins  à peine éclairés par les lampadaires. Elle a traversé une place où trônaient une église et une boulangerie à l'ancienne... Fred a même fait Coucou au passage au panneau annonçant que nous quittions Remungol-Nevez. Il a ouvert la vitre de son côté et il a fait un signe de la main en déclamant :

« Au-revoir, Remungol-Nevez ! Nous te reverrons au retour ! »

Tu parles ! Le retour n'a pas été long !

La route descendait vraisemblablement vers une plaine. On a sinué pendant, je ne sais pas... quatre ou cinq kilomètres, en scrutant les embranchements et les chemins alentours.

Rien.

A part, au bord d'un embranchement en patte d'oie sur la gauche, deux fourgonnettes de la gendarmerie derniers modèles, deux motos et six de ces messieurs de la maréchaussée occupés à contrôler un van blanc-crème.

Fred s'est écrié :

« T'arrête pas ! »

On a continué ainsi pendant encore à peu-près trois bornes.

Mais voilà ; c'était une impasse !
La route débouchait sur ce qui ressemblait à un lotissement privé. Une demi-douzaine de maisons entièrement construites en bois, mais grandes !
De magnifiques chalets eux aussi entourés de jardins. On en a admiré les superbes toits en ardoise et en double-pente prononcée depuis une barrière automatique orange fermée à l'entrée du lotissement.
A côté de celle-ci, un simple écran lcd monté sur un poteau en fer affichait sur fond bleu :

Privé ; colporteurs interdits : veuillez sonner ci-dessous.

Sous l'inscription, un cercle blanc invitait à y presser l'index.
On n'est pas restés pour essayer.

On a fait demi-tour et on est retournés à Remungol-Nevez.
Là, Fred nous a fait tourner pour chercher des panneaux. Il y en avait plein, mais tous indiquaient des lieux-dits aux noms dignes de celui qu'on cherchait et qu'on avait perdu en grillant le seul accès internet de la voiture. Des noms ultra oubliables ; dignes de Mister Supergol ! Ou encore des noms mal interprétables ! Par-ci se tenait le Trou des Forges, et trois-cent-mètres plus loin par là ; les Forges du Trou !

Comment veux-tu retrouver ton chemin dans une pelote pareille ?
Et ça au pied d'une montagne ; c'est fort !
Au bout d'un moment, Dugenou a dit :

« De toute façon, c'est pas ici, la Nouvelle Remungol. Donc, c'était dans notre dos ; on l'a dépassée sans faire exprès. En fait, c'était le village précédent et on l'a pas vu.»

Comme ça, il nous a littéralement fait faire demi-tour, et on est repartis sur la route par laquelle on était arrivés au départ.

Sa copine, elle, continuait de compter ses tunes sans rien dire.

Quand on est arrivés à la bretelle de l'autoroute pour Alès, là ; j'ai dit d'un ton que je reconnais un peu sec :

« Et on fait quoi, maintenant ? Le village précédent, y'en a pas non plus ! »

C'est marrant ; là, il a rien répondu, Supermol !
Du coup, on est revenus à Remungol-Nevez.

Encore.

Cette fois-ci, quelqu'un nous attendait sur la place de l'église.
Sous un lampadaire, assis sur un banc en thermoplastique blanc : deux pépères en pleine conversation... on aurait dit ceux du Muppet-Show ; en haut sur leur balcon !
Vêtus de vestes brunes et de pantalons taillés dans la même toile ; deux pépères en chaussons qu'on n'aurait pas pu louper les premières fois !
Les mecs étaient forcément venus s'installer le temps de notre dernier aller-retour au pays des gens perdus. Mais à les voir, c'était comme s'ils nous attendaient là depuis des heures !

Là, mon mec a arrêté la voiture. On a contemplé les petits vieux pendant quelques instants sans rien dire, puis l'un d'entre eux nous a vus. Chauve sur le dessus mais garni sur le tour d'un collier de cheveux blancs, il a levé une impressionnante moustache blanche puis son corps de grand-père pour venir vers nous d'un pas patient.

Très patient !

L'autre le suivait derrière ; blanc aussi, chevelu davantage mais imberbe.

« Mais, heu... tu fais quoi, là, s'est étonné Fred à l'intention de mon mec ?
- Mais, on va se renseigner, a répondu celui-ci !
- Mais qu'est-ce que tu veux qu'ils en sachent, eux ; c'est pas eux qui organisent !
- Mais il vivent là, non ?
- Mais... »

Le dernier mais en suspens, cet imbécile a fini par lâcher :

« Mais enfin ! Tu crois que ça leur plaît, à eux, un teknival chez eux ? Ils feront ce qu'ils peuvent pour nous perdre, oui ! »

De toute façon, c'était trop tard ; le petit vieux présentait sa paire de moustaches à ma fenêtre :

«  Ceux-ci ; sont perdus, ruminait-il entre sa dernière dent tandis que je baissais ma vitre ?
- Heu... non, non ; merci... a commencé Fred ! »

Je ne l'ai pas laissé aller plus loin :

« Si, si ; merci ! Nous cherchons le teknival des Poches, me suis-je écriée avec soulagement !
- Houlààà ! »

Le vieux a semblé réfléchir un instant, le menton dans une main, puis :

« Vous cherchez le Tek-Noz ?
- Oui ! C'est ça !
- Le quoi, s'étonnait l'ahuri derrière ? »

Là, je me suis violemment retournée vers lui :

« Le Tek-Noz ! C'était écrit en grand sur le flyer que t'as grillé, connard ! »

Prenant son temps, un ange est passé. La tête aussi rouge que son crâne, Fred paraissait comme coincé par une colique sur le trône. Enfin, le vieux a dit avec un sourire :

« Faut pas vous énerver, mademoiselle ; v'z'allez gâcher vôt jôôli teint !
- Pardon, est- intervenu mon mec ? »

C'était la première fois du voyage que je le voyais exprimer quelque-chose. Il faut le connaître pour comprendre ; il n'est pas vraiment du genre à exprimer ses sentiments. Là, le vieux a dit en affichant  la surprise :

« Oh, désôôlé ! »

Il avait un accent du terroir, c'était certain, mais lequel ?

« J'avais pas vu qu' c'était la tienn' ! »

La façon qu'il avait d'accentuer au milieu des mots dévorait bien les dernières syllabes à la sauce bretonne, mais dire qu'il prenait son temps serait un euphémisme.

A croire qu'il attendait une réponse non seulement à chaque phrase, mais aussi à chaque mot ! Même le plus détendu des bretons ne serait jamais assez patient pour parler mille fois plus lentement qu'un suisse.

Celui-là : si !

« Mais alors, c't à toi de lui faire des môô- ts doux ! Tu le fais ; si ?
- Je vois pas en quoi... a commencé mon mec »

Il s'est arrêté la bouche ouverte. Il a levé une main vers sa tempe, posant la paume contre la partie dégarnie autour de ses oreilles. Là, il s'est mis à caresser ses cheveux courts et noirs du bout des doigts. C'est son tic ; quand on le met mal à l'aise.

Finalement, il a dit :

« Heu, merci, c'est gentil, mais... on cherche la Nouvelle Remungol !
- Mais, vous y êt', don !
- Ah bon ?
- Mais oui ! Ca veut dir' noûûveau ; nevez !
- Ah, bon !... alors, heu... on cherche le Tek-Noz ! »

Le vieux a plaqué ses mains sur ses genoux, il a tourné la tête vers la route doit devant nous en levant la main droite puis, en nous regardant à nouveau :

« D'habîîtud', je dirais la route la meilleure, mais y'aurait un ch'min plus court. »

On a tous hoché la tête, comme s'il venait de nous apprendre une nouvelle extraordinaire.
Il a laissé passer quelques secondes. Derrière lui, l'autre pépère nous contemplait avec un sourire tout aussi édenté.

« Mais là, poursuivait le premier... en fait... non ! »

Le clocher de l'église s'est mis à égrainer les heures : dong ; une heure ! Dong ; deux heures !...

« Y'a qu'une route ! »

Dong ; trois heures !... Dong ; quatre !

« Alors... »

Dong... dong !

« V'z'allez toûût droit... »

Dong... dong !

« Et là ;... »

Dong... dong !

« Après kêêk's Kilômèt'... »

Dong...dong !

« Vous demandez à la Maréchaûûssée ;  y gard'nt le ch'min pour aller au Tek-Noz ! »

Et là, Mister Supergol le Mongol s'est écrié :

« Il est minuit ! Vous voyez ; on arrive tôt ! C'était pas la peine de s’exciter, comme ça ! »

J'ai encore perdu mon calme :

« Mais t'as écouté, au moins ? C'était au niveau des gendarmes !
- Oui, et alors ? On y est presque, oui ou non ? »

A nouveau ; un silence.

En parlant d'euphémismes... tu vois : là, ce serait un euphémisme, rien que de dire que c'était un euphémisme quand j'ai dit :

« J'en ai ma claque ! »

Le vieux a ajouté :

« Bon, ben... content de vous avoir rendu sêêrviss' !
- Merci, a lancé mon mec d'une voix indécise. Et, heu... bien à vous, hein ! »

Le vieil homme, qui commençait déjà à partir, s'est retourné... il est revenu. Il a dit en montrant une maison :

« De rien ! J'habite là, à côté ! On v'za vus toûûrner, alors on est v'nus voir ! »

Quelques secondes sont parties encore, comme ça, dans le silence. Puis le vieux a ajouté :

« Et faites attêntion ! Arrivés aux châââlets, c'est trôôp loin ! Nôôz vâât ! »

Puis il est parti rejoindre son collègue déjà presque assis sur le banc.

Et voilà !

On est repartis, nous aussi !
On a repris la route ; la bonne : dans l'intention de demander notre direction aux gendarmes.
Sur la banquette arrière, le champion de l'Univers toutes catégories en connerie domestique et autres s’affolait, s'exclamant :

« Mais vous êtes pas biens ! On va pas demander la route aux keufs ! Vous croyez quoi ; qu'ils vont gentiment nous dire où ça se trouve ? Ils vont nous balader, oui !
- Eh bien ils nous baladeront, ai-je hurlé à pleins poumons en crachant sur ce sous-primate ! Ce qui est sûr, c'est qu'ils le feront pas aussi bien que toi, pauv' gland ! »
Et là, tu sais ce qu'il m'a répondu, ce crétin ? Blanc comme un linge, il m'a dit :

« Mais non, mais, heu... enfin... on y est presque... et tant pis ! Tiens, tu vas voir : si tu me laisses leur parler, aux gendarmes... en les embobinant un peu ; moi, je te trouverai où c'est ! »


A suivre...
Eric Gélard