mercredi 10 octobre 2012

Les Raves se racontent au Présent 1.7

La Foire aux Monstres

« On avait retrouvé l'autre sentier, non sans mal. Les jeunes châtaigner ont beau pousser bien rangés autour de leurs parents, c'est pas évident de se faufiler en voiture entre les bosquets d'arbres. Par endroits, mon mec a carrément dû contourner des familles entières avant de retrouver la direction présumée des carrières où Fred prétendait trouver le Tek-Noz.

A un moment, j'ai voulu fermer ma vitre, à cause des châtaignes et des nuages de feuilles mortes soulevées par les micro-tornades des coussins d'air. Mais Supergol m'a arrêté du bras, depuis la banquette arrière. C'est là que je me suis rendu compte qu'il avait enlevé sa ceinture... mais depuis quand ? En me remémorant la façon dont il s'était presque couché sur sa copine pour baisser la vitre de gauche, je me dis qu'il la portait même pas quand on s'est fait contrôlés par la gendarme.
Je nageais en plein cauchemar.

« On entendra pas le son, si tu fermes, aboyait Fred. Tu veux trouver le tekos, ou quoi ? »

J'ai failli lui répondre : « Quoi ! »

Et puis on a trouvé le sentier ; le G.R. Rouge-jaune-rouge. Yohann s'est engagé dessus, braquant à droite. On a encore plané, comme ça, pendant quelques trois-cent mètres, puis la forêt s'est éclaircie. On a d'abord vu une voiture, garée à l'arrache, sur la droite. Puis un van marron sur la gauche, et enfin deux files de véhicules divers, de chaque côté, avant de déboucher dans les carrières. Yohann a commencé à nous engager sur l'une des dernières places libres, mais Fred l'a stoppé, s'exclamant :

« Non, non ! Vas-y, vas-y, fonce ! On trouvera bien de la place au centre ! »

N'ayant jamais mis les pieds dans une teuf, j'ai rien dit. J'en avais marre d'argumenter pour rien. Marre de perdre mon calme à cause de cette sous-nouille.

Alors on a continué, pour découvrir...

Là, tu vois, je trouve pas mes mots.

- A ce point là ?
- Ouais. Je me croyais en plein cauchemar, mais là, c'est devenu carrément indescriptible.

Sous les étoiles se découvraient les carrières. En d'autres circonstances, j'aurais trouvé ça magnifique ! Nous sortions des bois pour découvrir la montagne dans toute sa splendeur. La teuf s'était posée sur un large plateau. A droite, un long muret en pierre de schiste protégeait le promeneur du vide. A gauche, la montagne semblait comme croquée par un géant ! Je te jure : en divers endroits, c'était comme l'empreinte de mâchoires titanesques laissées dans une pomme géante entamée.

Et par strates ! On n'avait pas croqué dans une pomme, mais dans un gigantesque mille-feuilles ! Au carrières de Kerfondu, on extrayait du schiste. Ou plutôt, on en avait extrait, la voiture est d'abord passée entre des bâtiments quelque-peu vétustes. Bas, aux toits de schiste comme rongés par la galle, les anciens locaux présentaient des fenêtres aux vitres explosées et des portes à peine attachées sur leurs gonds.

- T'as l'air de t'y connaître, en pierres !
- Je les collectionne. Depuis toujours ! J'aurais donné ma chemise, pour visiter un endroit pareil.

Mais là, non. Devant les locaux abandonnés, dès l'entrée du tekos, on pouvait voir les teufeurs se dépouiller la tête. La plupart des mecs étaient torse-nu. Et avec des têtes : Tout-à-coup, Fred et sa copine me semblaient beaux, comparés à eux. Tu sais, Coconne, elle est jolie, avec ses tresses ; un quadrillage de tresses blondes toutes petites autour d'une natte plus grosse... même avec ces bijoux plantés derrière ses yeux et cet espèce d'anneau africain dans la lèvre inférieure... jusque-là, ça me paraissait bizarre, mais pas moche ! En arrêtant la moquette et en se renflouant un peu les joues, elle aurait pu être carrément belle !

Enfin, c'est ce que je me disais jusque-là !

Et puis, tout-à-coup, en voyant ces gens presque tous chauves – même les filles -, maigres... maladifs ; j'ai eu peur. Certains sniffaient leur drogue, assis contre les murs vétustes des anciens locaux. D'autres se passaient des bangs à la ronde.

- Des bangs ?
- Des pipes à eau. Et artisanales, encore ! Ça sert à fumer de l'herbe ou du haschisch, disons de façon quelque-peu plus violente qu'au pétard. Ils appellent ça shooter une douille. Les plus beaux sont paraît-il faits d'un tube de bambou. Au tiers de la hauteur, un tube plus fin traverse le gros pour plonger dans un fond de liquide. Sans rire, certains utilisent de la vodka à la place de l'eau ! Mais là, il s'agissait visiblement de bouteilles en plastique détournées pour les besoins d'une dépouille improvisée. Toujours percées d'une tige creuse terminée par la fameuse douille ; probablement la tête découpée d'un marqueur indélébile en zinc.
- T'as quand-même l'air de t'y connaître, là aussi !
- Je te l'ai dit, sur la falaise! Depuis que le parasite squatte chez-nous, il y organise presque tous les soirs des fumette-parties !

Enfin bon. Dans cette douille, tu mets ta beu ou ton schit, mélangé avec un peu de tabac, et au briquet, tu l'allume en aspirant par le haut du bang. Et comme ça, tu deviens encore plus con que tu ne l'était avant de tirer ta douille. C'est fun, c'est fart, ça t'enferme dans le coton et plus rien ne t'atteint.
- T'as essayé ?
- Ça va pas, non ? Je tiens à mes neurones !

Donc voilà ; dès l'entrée, on voyait les gens se dépouiller la gueule, voire même faire leur biz : d'autres teufeurs, debout, semblaient engagés en grande conversation mais serrée, tu vois, presque à se toucher de la tête en jetant des regards furtifs alentours, en s'échangeant ce qui ne pouvait être que thune et drogues.

J'en ai presque oublié le son !

Mais ça vibrait, plus fort que jamais. En dépassant les bâtiments, c'est là qu'on a découvert un plateau couvert de véhicules, voitures, camionnettes, mais éparpillés comme une acné naissante sur le visage d'un ado.

Je m'attendais... je ne sais pas, moi ! D'après les descriptions de Fred, je pensais découvrir de vrais murs de son, tu vois ; des enceintes empilées en murailles, avec un DJ et ses platines derrière chaque mur ou à côté... mais non.

Ah ça, des enceintes, il y en avait quelques unes. Éparpillées au petit bonheur la chance entre les véhicules. Et des danseurs, aussi... enfin ; des loques en kaki, voire torse-nus, couverts de piercings, de scarifications, même ; on évoluait entre eux, cherchant d'après Fred l'emplacement le plus au centre de ce qu'il osait appeler un teknival. Et tu sais quoi ? Une bonne part, j'aurais bien été en peine de te dire si c'était des filles ou des mecs.

Il y avait des gens couchés par-terre, aussi. Ils s'étaient apparemment endormis sur place. Yohann devait louvoyer par endroits pour éviter de passer dessus.

La musique techno sortait de partout. Certains camions, certaines voitures même présentaient de grosses enceintes, le coffre ouvert, et tout le monde y allait de son RAM-dam, participant à une cacophonie insupportable.

- A ce point là ?
- Je vais te dire ; c'était même pire.

A gauche, la paroi en mille-feuille de la montagne renvoyait l'écho du moindre son, du moindre cri parce qu'en plus, les gens criaient ! Ils criaient :

« Allez ! »

Ou encore :

« Culés ! »

Voire même des hurlements désarticulés censés probablement exprimer l'extase ! Et tout ça, plus les vibrations mal rythmées... tout ça, c'était renvoyé par la montagne avec un tel manque de synchronisme ; j'avais envie de hurler moi-même, mais de terreur !

Surtout qu'on passait pas inaperçus ! Tous se retournaient sur notre passage. Je me suis soudain rendu compte de la vétusté de tous les véhicules présents sur le site. On arrivait dans le seul véhicule neuf de la teuf.

Ducon, derrière, semblait en pleine extase, convaincu qu'on avait trouvé le bon site.
Finalement, il s'est exclamé en tapotant l'épaule de mon mec :

« C'est bon ; arrête toi là ! »

Yohann a stoppé la voiture.
Il a pas coupé le moteur tout de suite.
Lui aussi regardait autour de nous avec une expression plus que dubitative... inquiète même, ce qui, chez lui, voulait beaucoup dire.
J'ai lâché :

« C'est pas possible ! C'est pas là ! »

D'un ton goguenard, Fred m'a répondu :

« Mais où tu veux que c'est, Gougourde ? »

En temps ordinaire, j'aurais sans doute repris une telle faute de langage en le traitant d'inculte. Mais là, tu vois, j'étais morte de peur. Là, dehors, c'était la foire aux monstres. Mais c'est nous qui étions en cage ; tous les regards étaient pointés sur nous. Oh, personne ne s'approchait ! Ils nous dévoraient néanmoins du regard, dansant sur place, attendant qu'on sorte du véhicule.

Passant son pouce sur le capteur derrière le volant, Yohann a coupé le moteur. J'ai entendu les roues se déplier, sous la voiture. On s'est posés en douceur. Ouvrant sa portière, Fred a jailli hors de la voiture. Sa copine l'a suivi par le même chemin. Moi, j'osais tout simplement pas sortir. Paniquée, j'ai regardé mon mec. Lui non plus, ne savait visiblement pas quoi faire. Finalement, il m'a dit :

« Attends là ! »

Et il est sorti à son tour. Il a fait le tour de la voiture pour rejoindre les autres.

Une fille s'approchait de Fred. Elle arborait une espèce de crête rose bonbon entre deux plaques de métal comme vissées sur son crâne. Elle portait un t-shirt moulant kaki ; c'est comme ça que j'ai su que c'était une fille ! Ça et les cheveux roses, quoique... plus rien ne m'aurait surprise. Et puis, un pantalon vert camouflage sous une jupe noire.

Un mec approchait aussi, grand, torse-nu, musclé quoique noueux de partout, en pantalon de camouflage lui aussi... c'est là que j'ai réalisé que tous étaient vêtus de surplus militaires. Le Fred faisait déjà complètement tache, avec son t-shirt de farces et attrapes.

- Comment ça ?
- Je l'ai pas dit ? Il porte un t-shirt vert camouflage, lui aussi, mais avec une grande inscription à la teintures blanche sur la poitrine.

Ca dit :

« Je suis écolo, je ne chasse que les filles ! »

Le genre de truc qui résume d'avance et sa mentalité et son quotient intellectuel, quoi !
En voyant la fille approcher, Concon a lancé :

« Salut ! »

Par ma vitre ouverte, je l'entendais à peine, dans le vacarme environnant. La fille a répondu :

« Ouais !
- Dis donc, poursuivait Fred ; c'est bien ici, le son des Poches !
- Quoi ? »

Le mec, lui, s'approchait de la voiture. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il était pas chauve. Ou alors si, mais seulement du côté gauche. Sauf que, de ce côté là pointaient des cornes, je t'assure ! De grosses cornes cônique, une sur la tempe, l'autre vers l'arrière du crâne. Du côté droit poussait un duvet brun rasé en spirale ! Et un visage ! Maigre, aux yeux profondément enfoncés dans leurs orbites... effrayant !

En entendant Fred, il s'est ravisé.
Yohann aussi, en voyant le monstre se diriger vers moi, avait commencé à revenir vers la voiture. Mais à ce moment là, tout s'est figé. Miss Tresses, la copine de Nounouille, s'était pour sa part accrochée au bras de son crétin.

Le grand mec a fait un pas vers Fred en criant :

« Tu peux répéter ?
- Je te demande de confirmer à notre copine que c'est bien le son des Poches, insistait Supergol avec un sourire niais. Elle veut pas me croire ! »

Tout-à-coup, le gorille à cornes a explosé :

« J'encule les Poches !
- Ouais !
- Ouaiiiiiiiis !
- Alleeeeeez !
- On les met profond, les Poches ! »

J'ai réalisé soudain qu'on était encerclés. De partout, une foule de teufeurs mécontents s'approchaient de la voiture. Des gars, des filles, des monstres aux visages menaçants. L'un d'entre eux a hurlé :

« Ils ont pas voulu de nous, les Poches ! »

Là, au moins, j'étais fixée : on n'était pas au bon endroit. Mais tu vas rire, le Fred a insisté :

« Ah bon ? Mais nous, on cherche le son des Poches, c'est où ? »

Toujours hurlant, le cornu a fait deux pas vers Fred et sa copine en ouvrant les bras à la ronde :

« Quoi, il est pas bien, notre son ?
- Heu... si, mais... »

Le gars était sur lui. Il l'a attrapé au col. L'arrachant de sa copine, il l'a carrément soulevé du sol. On voyait une fureur indescriptible, sur son visage. Les autres s'attroupaient tout autour. Mon mec est arrivé derrière le géant, il lui a donné un coup de poing dans les côtes, par derrière. Ça l'a littéralement plié en deux ; il a dû lâcher Fred.

Mais il s'est vite redressé. Mon mec et lui se sont retrouvés face à face. L'autre prenait une vraie pose de gorille. Yohann, lui, s'était mis en garde. Il fait du Jiu-jitsu, tu sais... enfin, il faisait avant que Nounouille vienne pourrir notre vie. Mais là, il s'est rapidement retrouvé encerclé, d'autres mecs commençaient à prendre des poses menaçantes, tout autour.

Tu vois, là, j'ai cru à ma dernière heure, termine la conteuse dans un sanglot. »

Quelques secondes passent dans le silence. Vers le sud, on entend vibrer la terre. La jeune femme, presque assise au pied de l'arbre, prend une grande inspiration et reprend :

« Mais surtout, j'ai cru à la dernière heure de Yohann. Je te l'ai dit, je pourrais pas vivre sans lui. S'il l'avaient tué, je me serais volontiers offerte en sacrifice !
- Mais vous en êtes sortis, devise l'autre voix féminine depuis une branche basse !
- On en est sortis, oui, répond la jeune femme en séchant ses larmes d'une main. Mais je te jure, c'est vraiment pas grâce au Fred.
Un autre mec a débarqué de nulle-part, on se serait crus dans un mauvais polar ! Petit, noueux lui aussi, vêtu comme les autres de surplus de l'armée, complètement chauve mais sans piercings ni scarifications ni cornes ni quoi que ce soit d'autre à part un flingue !

Comme un génie jaillissant de sa lampe, ce gars est sorti de la foule en brandissant un flingue et en hurlant :

« Police ! Tout le monde se fixe ! »


A suivre...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire